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L’empreinte carbone : au cœur des enjeux de demain

Le 29 novembre dernier, la troisième séance du séminaire « Transition énergétique et climatique », organisé par la Direction générale du Trésor et la DGEC (Direction Générale de l’Énergie et du Climat), s'est tenue au Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, à Paris.

Cette session était consacrée à l’empreinte carbone, un sujet essentiel dans le contexte environnemental actuel. L’empreinte carbone représente concrètement les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées directement ou indirectement par une activité, une organisation ou un produit. Elle constitue un outil clé pour comprendre les enjeux et défis liés à cette notion centrale dans le débat public.

Qu’il s’agisse d’un pays, d’une entreprise ou d’un individu, la première étape pour réduire son empreinte carbone est de pouvoir la mesurer.

Table ronde : « Les usages, la mesure et les limites de l’empreinte carbone »

L’un des points marquants de cette table ronde était l’examen de l’empreinte carbone à différentes échelles, grâce à la diversité des intervenants : à l’échelle nationale (France), à celle des entreprises, ou encore à celle d’un projet spécifique, tel que le parc éolien offshore d’EDF à Saint-Nazaire. Ce dernier a été présenté par Etienne Berille, chef de projet environnemental offshore chez EDF Renouvelables, avec un focus sur la décomposition de son empreinte carbone.

Sylvain Larrieu, expert en comptabilité environnementale à l’INSEE, a présenté les émissions carbone à l’échelle nationale. En 2023, les émissions de gaz à effet de serre (GES) directes de la France s’élèvent à 644 Mt de CO2eq, réparties de la manière suivante :

  • 362 Mt d’émissions importées,
  • 180 Mt d’émissions intérieures,
  • 101 Mt d’émissions directes des ménages.

Les émissions importées représentent 56 % de l’empreinte carbone française. Depuis 1995, les émissions intérieures ont diminué de 33 %, tandis que les émissions importées ont augmenté de 32 %, reflétant la désindustrialisation en France. Cette évolution illustre un transfert significatif des émissions domestiques vers d’autres pays, souvent en raison de coûts de production plus faibles.

Mesurer l’empreinte carbone à chaque échelle est essentiel. Pour les entreprises, cette démarche permet d’identifier les principaux postes d’émissions et de calculer l’intensité carbone de leurs produits ou services. L’intensité carbone évalue l’impact environnemental d’un bien, d’un service ou d’une activité en fonction des émissions de GES par unité produite. Elle offre une base de comparaison pertinente.

Prenons le cas de deux entreprises qui fabriquent un même produit : l’une affiche 5 000 tCO2eq et l’autre 25 000 tCO2eq, la première semble, au premier abord, plus vertueuse. Toutefois, si on ramène ces chiffres à l’unité produite, la seconde entreprise a un impact moindre. Seule l’analyse de l’intensité carbone (tCO2/unité produite) permet de déterminer laquelle est réellement plus performante en termes d’émissions.

Cette évaluation peut être réalisée à l’aide de la démarche Bilan Carbone®, qui permet non seulement de quantifier l’empreinte carbone, mais également d’identifier des indicateurs pertinents d’intensité carbone. Par exemple, dans le cas d’une entreprise produisant du cuivre, cette approche aide à déterminer la quantité de CO2eq émise par tonne produite, fournissant ainsi une base de comparaison avec d’autres entreprises du secteur.

À une échelle plus précise, comme un projet, un produit ou un service, des mesures détaillées – comme celles menées par EDF pour son parc éolien – permettent aux entreprises de réaliser des Bilans Carbone® plus précis et de concevoir des plans d’action plus concrets. Cette précision est fondamentale pour améliorer la compréhension de leurs impacts et guider leurs stratégies de réduction d’émissions.

Une fois la question de la mesure de l’empreinte carbone résolue, une autre problématique se pose et a été abordée lors de cette table ronde : l’attribution de cette empreinte. Aujourd’hui, lors de la réalisation d’un Bilan Carbone® d’une entreprise, les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont classées en trois catégories appelées scopes :

  • Le scope 1 correspond aux émissions directes, produites sur le site, comme la combustion de gaz.
  • Le scope 2 couvre les émissions indirectes liées à la consommation d’énergie, notamment l’électricité.
  • Le scope 3 regroupe toutes les autres émissions indirectes générées tout au long de la chaîne de valeur de l’entreprise.

Ces émissions peuvent être comptabilisées dans les Bilans Carbone® de plusieurs acteurs. C’est ce qu’on appelle la double comptabilité. Lorsqu’une entreprise vend un produit à un client, les émissions associées à ce produit apparaissent dans différents postes du bilan de l’entreprise et de son client. Dans ce cas précis, l’attribution des émissions peut être relativement simple à répartir en réalisant un Bilan Carbone® pour chaque partie.

Cependant, dans certains secteurs, cette attribution est plus complexe. La question cruciale est donc de déterminer comment attribuer équitablement les émissions entre les acteurs, afin que chacun assume une part proportionnelle de responsabilité : si une banque finance un projet d’énergie fossile (actif carboné), il est logique qu’elle porte une partie de la responsabilité des émissions associées.

Depuis quelques années, les banques européennes utilisent notamment la méthode PCAF (Partnership for Carbon Accounting Financials), une initiative internationale qui standardise la mesure et la publication des émissions de GES liées aux prêts et investissements. Le principe est simple : si une banque finance 20 % d’un projet, elle se voit attribuer 20 % des émissions associées. Cependant, cela n’exonère aucunement les autres acteurs de leur part des émissions associées à ce projet. Si un industriel se fait financer 20 % de son projet par une banque, la banque se voit attribuer 20 % des émissions et l’industriel se voit toujours attribuer 100 % des émissions liées au projet.

Cela dit, les règles d’attribution ne sont pas encore pleinement harmonisées. Il est donc essentiel d’établir des normes claires pour tous les secteurs afin de responsabiliser l’ensemble des acteurs du système économique.

Table ronde : « Les politiques publiques permettant de diminuer l’empreinte carbone de la France et leurs conséquences pratiques pour les entreprises et les ménages. »

Cette deuxième table ronde avait pour objectif d’explorer les obstacles et défis liés à la réduction de l’empreinte carbone nationale.

Comme évoqué précédemment, la France a principalement externalisé ses émissions, en transformant des émissions intérieures en émissions importées. Bien que les solutions pour réduire l’empreinte carbone soient identifiées, le véritable enjeu réside dans leurs conséquences pratiques et dans la manière de les atténuer. Un des axes prioritaires est la réindustrialisation et la décarbonation de l’industrie française.

Les émissions importées sont difficiles à maîtriser, alors qu’en inversant cette tendance – en transformant les émissions importées en émissions intérieures pour les secteurs où cela est possible – il devient plus facile d’agir. Toutefois, la décarbonation industrielle nécessite des investissements importants. Sans ces efforts, les industries françaises devront compenser leurs émissions en achetant davantage de quotas dans le cadre du système EU-ETS (Système d’échange de quotas d’émissions de l’Union européenne), ce qui pourrait affecter leur compétitivité face à des entreprises situées sur des continents où ces règles ne s’appliquent pas. Cela pourrait engendrer une fuite carbone, c’est-à-dire la délocalisation des activités industrielles, et donc des émissions, vers d’autres pays.

Pour répondre à cette problématique, le MACF (Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières), souvent surnommé « taxe carbone aux frontières », a été mis en place. Son objectif est de compenser le coût carbone des matériaux importés en fonction de leur intensité carbone.

Un exemple concret est celui de l’acier importé de Chine vers l’Europe : un prix additionnel serait appliqué en fonction des émissions de GES générées par sa production, similaire aux quotas que les industries européennes doivent payer pour leurs propres émissions dans le cadre de l’EU-ETS (Système d’échange de quotas d’émissions de l’Union européenne). Bien que ce mécanisme semble simple en théorie, sa mise en œuvre est complexe. Comme l’ont souligné les intervenants, il nécessite des dialogues internationaux pour harmoniser les critères de calcul des émissions et s’accorder sur un prix carbone équitable. Ces discussions internationales ajoutent une couche de complexité à un dispositif qui, bien que prometteur, reste difficile à appliquer de manière uniforme.

Tout ceci concerne la partie des flux matières en dehors du territoire. Mais qui dit matières, dit également flux carbone.

En ce qui concerne le flux de matières au sein du territoire, Antoine Teixeira, économiste et modélisateur à la Direction Exécutive Prospective et Recherche (DEPR) à l’ADEME, nous a montré le rôle majeur de l’économie circulaire pour réduire nos émissions de GES, notamment avec cette illustration.

Répartition de l’Empreinte Carbone des matériaux (2015)

Source: IRP (2020), Ressource efficiency and climate change – Material Efficiency Strategies for a Low-Carbon Future.

La colonne A indique les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées au processus de production, la colonne B représente la part de chaque matériau, et la colonne C celle de chaque industrie. Dans la colonne A, il apparaît que plus de 50 % des émissions de GES des processus de production proviennent de la fabrication des matériaux. Cela signifie que réduire la production de matériaux permet d’agir sur la principale source d’émissions de GES dans la production des ressources.

L’économie circulaire offre une solution concrète pour réduire ces émissions, sans délocaliser les émissions d’un pays à un autre. En quelques mots, l’économie circulaire est un modèle économique systémique qui vise à concevoir des produits et des services de manière durable, tout en maximisant la valeur des ressources. Elle repose sur des pratiques telles que la réduction des déchets à la source, le partage, la réutilisation, la réparation, la rénovation et le recyclage des matériaux, afin de prolonger leur durée de vie. Cela se traduit par une réduction des émissions de GES en France et de la dépendance à certains matériaux dits « critiques », soumis à des tensions, comme les minerais nécessaires aux batteries des véhicules électriques. Si le sujet vous intéresse, noous vous invitons à lire l’article « L’écosystème des batteries dans les Hauts-de-France : défis environnementaux et opportunités dans la newsletter de septembre 2023.»

L’empreinte carbone est une problématique qui nous concerne à toutes les échelles : celle d’un pays comme la France, d’une entreprise, d’un projet ou même d’un particulier. Il serait tentant de penser que nos émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle individuelle sont négligeables par rapport à celles d’une entreprise ou d’un pays. Nous pourrions même relativiser en affirmant que la France émet relativement peu de GES en comparaison avec d’autres pays. Cependant, face à l’urgence climatique, nous ne pouvons pas nous permettre de choisir où agir : chaque effort, à chaque niveau, est indispensable !