Quoi de mieux pour connaître un ancien ministre que de relire un rapport parlementaire dont il fut l’auteur ? Madame Olga Givernet était rapporteure auprès de la représentation nationale en juin 2023 d’une étude intitulée « Les implications en matière de recherche et d’innovation technologique de l’objectif de sobriété énergétique »
La sobriété énergétique est l’un des outils de la transition énergétique en France puisque notre pays a lancé en juin 2023 son deuxième plan de sobriété énergétique et qu’il est l’unique pays de l’OCDE à avoir intégré le concept de sobriété énergétique dans sa législation (loi TECV de 2015 et SNBC). Quelle vision, quels enjeux sont à l’esprit de Mme Olga Givernet dans cette étude ?
Histoire d’un concept
Le concept n’est pas nouveau : le monde grec parlait de tempérance (retenue volontaire de soi-même) par opposition à l’hubris, synonyme de démesure. Thomas d’Aquin fait de la sobriété une « modération comme juste mesure » en la distinguant de l’ascétisme et du renoncement. L’allemand Wolfgang Sachs établit, dans les années 1990, un lien entre sobriété(« Suffizienz ») et abandon de la croissance et Pierre Rhabi parle en 2010 de la « sobriété heureuse ». C’est finalement sur la définition du 6e rapport du GIEC qu’Olga Givernet s’appuie dans son rapport : « ensemble de mesures et pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie, matière et eau, tout en garantissant le bien-être de tous, dans le respect des limites planétaires ». Cette définition est assez proche de la vision de l’économiste britannique Kate Raworth, qui, dans la théorie du Donut, propose un modèle d’économie durable encadrant la satisfaction des besoins fondamentaux des êtres humains entre un plafond environnemental que l’humanité ne doit pas franchir pour préserver la stabilité et la résilience des systèmes terrestres et un plancher social, correspondant à la satisfaction des besoins fondamentaux permettant d’assurer à l’ensemble des êtres humains une qualité de vie digne.
La sobriété énergétique vient éviter la demande en énergie, quand l’efficacité énergétique vise l’efficacité du KWh consommé. Les deux sont donc bien complémentaires et se corrigent mutuellement de leurs points aveugles : l’innovation technologique est plus du côté de l’efficacité énergétique mais se heurte à l’effet rebond et au coût d’investissement ; la sobriété vient donc la compléter en ne considérant pas uniquement l’énergie consommée par un produit mais également toute son « énergie grise », à savoir l’énergie dépensée à sa production, son transport, l’extraction de ses matériaux constitutifs, les services qui lui sont associés et sa fin de vie.
Sobriété et Low tech
L’économie circulaire invite à passer d’une économie linéaire « extraire-fabriquer-jeter » à une vision plus cyclique selon le triptyque « réduire-réutiliser-recycler ». Cependant, cette vision atteint cependant vite ses limites à travers l’effet rebond mais également par le simple effet entropique qui aboutit toujours à dissiper la matière et l’énergie. Olga Givernet nous précise : « pour que l’économie circulaire puisse avoir un impact significatif sur la durabilité des modes de vie, il est indispensable que l’augmentation de l’usage du recyclage et de la valorisation des déchets ne se réalise pas au détriment d’une réévaluation critique des pratiques de consommation et de production ». La sobriété est donc à relier à l’économie circulaire, notamment par le biais de la « low tech ».
Celle-ci se définit par opposition à la « high tech » qui contribue à l’augmentation de l’exploitation des ressources et qui rend plus difficile leur recyclage. La « low tech » vise à « mettre l’innovation technologique au service de la réduction de l’empreinte environnementale» selon Philippe Bihouix, directeur de l’AREP. La low tech se veut utile, accessible et durable ; elle invite à un « techno-discernement » permanent où il s’agira d’interroger les besoins, penser les usages avant d’innover, voir comment une nouvelle technologie contribue à modérer les consommations et concevoir des innovations avec un cahier des charges suffisamment large pour tenir compte de l’autonomie énergétique, la régénération des systèmes naturels, etc… Des formations en ingénierie low tech existent déjà comme à Centrale Nantes ou l’INSA Lyon, note le rapport.
La recherche sur la sobriété énergétique doit se développer, selon Olga Givernet. La France tient d’ailleurs un positionnement privilégié sur ce champ spécifique. Il s’agit de comprendre les interactions complexes entre les comportements individuels, les normes sociétales, les changements technologiques et les initiatives politiques. Les sciences humaines et sociales sont à mobiliser à travers la sociologie, la psychologie, les sciences politiques pour décrypter des mécanismes de marché et de politiques publiques qui créent des incitations efficaces. Mais la recherche concerne également des innovations technologiques dans tous les secteurs de l’économie : habitat, tertiaire, transport, industrie, numérique.
Conclusion et recommandations
Une phrase clé de la conclusion du rapport nous semble importante à recueillir : « Plutôt que de céder à la tentation des interdits ou des restrictions, il apparaît préférable d’informer nos concitoyens des atouts bien réels de la sobriété, en multipliant les messages bienveillants qui valorisent les démarches de sobriété, en mettant en avant leurs co-bénéfices, (…). Ainsi, la sobriété sera de moins en moins perçue comme une entrave, mais plutôt comme une voie d’accès à une meilleure qualité de vie, une santé optimisée, et un environnement préservé. Cette perspective contribuera à redéfinir les termes de notre contrat social, en appelant à réconcilier confort et durabilité, pour un avenir plus serein et plus résilient. »
Parmi les nombreuses recommandations proposées par le rapport, nous citons certaines d’entre elles :
Bâtiments : simplifier et adapter les dispositions réglementaires relatives à la gestion active de l’énergie.
Transports : renforcer la formation à l’éco-conduite dans le cadre de l’examen du permis de conduire et poursuivre le soutien à la filière du rétrofit des véhicules thermiques.
Industrie : généraliser les formations à l’écoconception dans les études d’ingénierie ; créer des chartes d’engagement à la sobriété pour les différents secteurs industriels identifiant les bonnes pratiques de production et proposant des objectifs d’économies d’énergie.
Numérique : promouvoir les bonnes pratiques de stockage de données et d’hygiène informatiques : cf. la journée du nettoyage numérique (« digital cleanup day ») ; allonger la garantie légale des équipements numériques à 5 ans.
Recherche : contribuer à la création de nouveaux modèles économiques et, avec l’aide de la sociologie du comportement, à l’identification des facteurs qui rendent la sobriété socialement acceptable ou, à l’inverse, des normes sociales qui encouragent la surconsommation. Soutenir la recherche sur les matériaux sobres en énergie. Favoriser la recherche visant à traduire la sobriété en cahier des charges et normes pour le développement des produits et services.
Dispositions transverses : dans la publicité, étendre l’obligation d’inclure un message éducatif promouvant une utilisation rationnelle de l’énergie et incitant à des économies d’énergie à tous les produits et services énergivores et non plus seulement aux seules entreprises énergétiques. Inclure des critères analysant la consommation énergétique dans les études d’impact législatives et les évaluations socioéconomiques préalables à des investissements publics pour limiter l’impact énergétique des lois et des projets d’investissement publics.