Nouveau paradigme : « c’est la combustion du gaz fossile qui émet du CO2 et non son usage en tant que tel ! »
Le salon Hyvolution à Paris ces 30, 31 janvier et 1er février a été l’occasion de rencontrer la société SAKOWIN.
Le salon Hyvolution à Paris ces 30, 31 janvier et 1er février a été l’occasion de rencontrer la société SAKOWIN.
Claude Pruvot (AES DANA), Pauline PICCOLETTI (AES DANA) et Matthieu Schmitt (Sakowin), sur le stand des Hauts-de-France à Hyvolution
Cette deep-tech éco-responsable a été créée en 2017 à Aix en Provence par Gérard Gatt. Elle est depuis 2021 en partenariat avec AES DANA, la société arrageoise spécialisée dans le biogaz, qui trouve là une voie intéressante de diversification. Sur le stand des Hauts-de-France, nous retrouvons Mathieu Schmitt, responsable des partenariats stratégiques et du développement et Claude Pruvot, directeur services énergies chez AES DANA. Interview :
Pôlénergie : Pourriez-vous nous présenter Sakowin en quelques mots ?
MS : Sakowin développe une technologie de rupture qui consiste à décarboner le gaz naturel. Si au départ, nous nous sommes intéressés à l’électrolyse par résonnance d’eau de mer sur les bases d’un brevet américain, très vite nos travaux nous ont amenés à identifier un verrou technologique et aboutir à une solution de production d’hydrogène décarboné en grande quantité au plus près de la demande. Nous sommes aujourd’hui 26 salariés à Aix en Provence avec plusieurs projets en portefeuille.
Pôlénergie : Comment expliquer simplement cette technologie ?
MS : Notre technologie combine les micro-ondes et la plasmalyse du méthane. Cette dernière décompose la molécule de CH4 (fossile ou bio) en utilisant un plasma, c’est-à-dire un état particulier de la matière, ionisée par un courant électrique. On obtient en fin de process d’un côté de l’hydrogène et de l’autre du carbone sous forme solide. On pourrait dire que l’équipement Sakowin agit comme un filtre à carbone qui laisse passer la partie énergétique du méthane, à travers l’hydrogène, mais retient sa partie carbonée, sous une forme neutre : le carbone solide. Ce qui est remarquable dans cette technologie, c’est son efficacité énergétique : nous avons besoin de 10 kWh d’électricité pour produire 1 kg d’hydrogène, soit 5 à 6 fois moins que par électrolyse et en plus sans utiliser d’eau. Pour casser une molécule, il faut en effet beaucoup moins d’énergie lorsqu’il s’agit du méthane que lorsqu’il s’agit de l’eau. Le carbone sous forme solide peut être valorisé dans la fabrication de batteries, de pneumatiques, en cimenterie ou dans l’agriculture comme agent contribuant à la rétention de l’eau dans les sols. Au fond, en décarbonant le gaz, nous venons changer le discours habituel : « l’énergie fossile émet du CO2 » en un discours moins oblitérant : « c’est la combustion des énergies fossiles qui émet du CO2 ».
Pôlénergie : quelles ont été les étapes de votre développement ?
MS : Depuis le dépôt des brevets fin 2020, nous avons passé les étapes du premier prototype en laboratoire, puis de la preuve de concept livré à un premier client ; nous en sommes aujourd’hui à un niveau TRL 6 avec un prototype de 6kW installé chez un client. Fin 2024 nous livrerons un premier démonstrateur industriel de 100 kW pour la décarbonation de 15% des consommations de gaz naturel d’un four d’émaillage d’un industriel suisse. Sur 2024-2025, nous avons dans nos cartons près de 10 projets pour des modules de 100 kW que nous installerons en prolongement d’unités de méthanisation, chez des industriels ou pour des gestionnaires d’infrastructures. A partir de fin 2025, nous entrons en phase de commercialisation avec des modules standards de 100kW produisant 200 Kg d’hydrogène par jour. Les industriels trouveront avec notre solution le moyen de monter graduellement en décarbonation tout en restant sur un système gaz, libre à eux à un moment ou l’autre, d’intégrer du biogaz et devenir ainsi « émetteur négatif », ce que la régulation européenne reconnaîtra à l’avenir à son juste prix, nous l’espérons. Il existe à plus longue échéance un intérêt certain pour la mobilité, puisque Sakowin peut décarboner le méthane sur place, partout où des infrastructures gaz existent et proposer ainsi un mode plus diffus de stations hydrogène.
Pôlénergie : quels sont vos partenaires ?
MS : SAKOWIN a reçu le label DeepTech en mars 2022 de Bpifrance et bénéficie du soutien du conseil européen de l’innovation. Nos premiers partenaires sont Saint Gobain, Ponticelli, Groupe ADF et AES DANA. Une première levée de fonds de 6,5M€ en 2022 a permis le développement des prototypes de laboratoire. Sur le salon Hyvolution, nous annonçons une levée de fonds de 4M€ auprès de Vol-V, investisseur dans la transition énergétique et le fonds de la commission européenne EIC, afin de financer les 10 programmes de co-développement via des démonstrateurs industriels.
CP : De son côté, AES DANA voit l’intérêt d’une diversification de son activité biogaz en venant compléter les unités de méthanisation par une solution qui accroît la valeur créée par les agriculteurs. Dans l’avenir, AES DANA pourra jouer un rôle dans l’exploitation des modules, si les industriels préfèrent ne pas opérer eux-mêmes les installations. Saint Gobain est intéressé comme « off-taker » du carbone solide pour ses propres besoins et Ponticelli, spécialiste de la reconversion des plateformes pétrolières, apporte sa compétence d’intégrateur.
Pôlénergie : si on parlait prix pour l’usager final ?
Nous visons un prix de vente de l’hydrogène en 2026 entre 2,5 et 3,5 €/kg, sur la base d’un prix du gaz de 30-40 €/MWh. Cette fourchette est un prix avant la valorisation du carbone. Pour ce dernier, aux vues des quantités importantes qui seront produites, notre stratégie est de créer un nouveau marché, celui de l’agriculture, avec des prix attractifs à moins de 400 € la tonne et de ne pas venir concurrencer les marchés de niche existants du carbone qui pratiquent des prix élevés.