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L’influence des façades vitrées dans l’urbanisme

En été, les façades vitrées de Manhattan réfléchissent le soleil et engendrent un inconfort thermique pour les piétons. Mais qu’en est-il en hiver ? La situation est-elle inversée ?

En hiver, alors que notre piéton arpente les rues glacées de Manhattan, il est entouré de gratte-ciels dont les façades vitrées jouent un rôle crucial dans son confort thermique. Là où en été les façades de verre amplifiaient la chaleur en multipliant plusieurs fois le soleil, elles deviennent, en hiver, le reflet d’un ciel très froid. Les rayons du soleil, alors plus bas dans le ciel, doivent traverser une couche atmosphérique plus importante, et sont souvent bloqués par les imposants immeubles de la Grosse Pomme. Une grande partie de la lumière solaire hivernale n’atteint donc jamais le niveau de la rue. Seul le zénith est visible, et là, lorsque le ciel est dégagé, sa température peut chuter drastiquement, atteignant même des valeurs inférieures à -30°C. C’est ainsi que le ressenti du froid de notre piéton est exacerbé, rendant la scène encore plus inconfortable.

C’est en exploitant astucieusement les propriétés physiques de la voûte céleste que l’homme, bien avant l’avènement des gratte-ciels, a su concevoir des structures remarquables dans le climat aride et chaud de l’Iran, servant non seulement à stocker de la glace mais aussi à réfrigérer les aliments (voir Figure 1). Ces édifices coniques, connus sous le nom de Yakhtchal (« glacière » en persan), sont dotés d’un oculus à leur sommet, permettant d’isoler la zone zénithale du ciel, la plus froide de toute la voûte. À l’intérieur, les parois sont enduites d’un mortier clair appelé Sarooj (un mélange de sable, d’argile, de blanc d’œuf, de chaux et de cendre), favorisant la réflexion tout en réduisant l’absorption de la chaleur. Les Yakhtchal étaient soigneusement orientés vers le nord pour réduire au maximum l’exposition au soleil, tandis que leur construction en pierre massive garantissait une isolation optimale et une inertie thermique conséquente.

Figure 1 : Principe du Yakhtchal

 

En empruntant une démarche similaire à celle des Yakhtchals qui ciblent le point le plus frais dans le ciel, il serait envisageable de chercher le point le plus brillant de la scène. En exploitant les reflets sur les surfaces des gratte-ciels, nous pourrions ainsi accroître nos opportunités de capturer l’énergie du soleil.

Imaginons un instant, placer un panneau photovoltaïque sur la terrasse de la Lever House, le premier gratte-ciel de Manhattan construit en 1952. De la même façon que nous l’avions fait pour notre piéton, observons ce que « voit » le panneau à l’aide du diagramme solaire (Figure 2). Au solstice d’hiver (la ligne courbe inférieure), le soleil apparaît à peine, vers midi, en frôlant l’immeuble rouge. Le reste de l’année, le soleil est à peine visible dans le ciel, quelques heures par jour en mi-journée, avant de disparaitre derrière la forêt des tours new-yorkaises.

Figure 2 : Diagramme solaire du panneau photovoltaïque placé sur la terrasse de la Lever

 

Figure 3: Trois positions de panneau photovoltaïque étudiées à 11h45 (horizontal, orienté vers le sud et tournesol).

 

Essayons à présent de quantifier l’énergie reçue par le panneau à 11h45, lorsque le soleil est au plus haut dans le ciel. D’abord, nous évaluons l’énergie reçue par un panneau parfaitement horizontal (position 1 sur la Figure 3). Puis, celle reçue par un panneau orienté vers le sud (position 2 sur la Figure 3), ce qui correspond à la position recommandée par les fabricants pour optimiser les apports solaires au long de l’année. Et enfin, nous explorons la possibilité d’utiliser un panneau motorisé et programmé pour suivre la trajectoire du soleil, à la manière d’un tournesol (position 3 sur la Figure 3). Pour une simulation réalisée à midi, il y a peu de différence entre le panneau orienté vers le sud (837 Wm-2) et le panneau tournesol (840 Wm-2) (Tableau 1).

Tableau 1 : Facteur de Vue du Ciel (SVF en % de vue du ciel) et les irradiances (en Wm-²) pour les trois positions de panneaux photovoltaïques à 11h45.

 

 

 

 

 

 

 

Figure 6 : Deux positions de panneau photovoltaïque étudiées à 12h45 (tournesol et tournesol « intelligent »).

 

Cependant, une heure plus tard dans la journée, à 12h45, le soleil disparaît derrière la tour voisine (Figure 4), et l’énergie reçue par le panneau chute (261 Wm-2). La Figure 4 nous montre bien que le panneau ne « voit » plus de soleil, en revanche, elle ne nous montre que la moitié que la scène car c’est une projection de la demi-sphère. Pour observer ce qu’il se passe tout autour du panneau, y compris derrière lui, il est nécessaire d’avoir une image sphérique. Grâce à la projection de Mollweide (Figure 5), nous découvrons un reflet du soleil à l’arrière du panneau ! Réorienté dans la direction de cette réflexion, à la manière d’un tournesol « intelligent » (Figure 6), le panneau solaire obtient le meilleur résultat à ce moment de la journée (Tableau 2). Grâce à l’image, il apparaît évident qu’à une certaine heure, il vaut mieux que notre panneau s’oriente vers le nord s’il veut avoir une chance de récupérer de l’énergie solaire.

 

 

 

 

Si l’on regarde d’un peu plus près la Figure 5, on remarque aussi que la surface la plus grande présente sur l’image ne correspond ni à la surface du ciel, ni à la surface des tours…Il s’agit du sol. Dans toutes les villes, le sol est bien souvent composé de revêtement en matière minérale, plus ou moins rugueuse et plus ou moins sombre… Il semble, de fait, extrêmement pertinent de continuer l’exploration des propriétés urbaines en étudiant par exemple le sol, et sa potentielle influence sur les échanges radiatifs, le confort des piétons et la production d’énergie. Comment pourrait-on intégrer ces considérations dans la planification urbaine contemporaine ? Que pourrait-on découvrir de nouveau en analysant de près le sol urbain ?

 

 

Rédaction : Jairo Acuña Paz y Miño, enseignant-chercheur dans le département Géomatique et Génie Urbain de Polytech Lille
Relecture : équipe du département Géomatique et Génie Urbain

Basé sur l’article “Driving a photovoltaic panel in Manhattan with well-chosen projections of the reflections of the mirror city”, cet aperçu vulgarisé offre une perspective concise sur les défis de la conception urbaine face au changement climatique. Il met en avant la nécessité d’innovations dans la conception pour des solutions durables.

 

Figure 4 : Projection orthographique de la scène simulée pour un panneau de tournesol le 28 octobre à 11 h 45.

A 12h45, le soleil est caché derrière un bâtiment de la scène.

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 5 : Projection de Mollweide de la scène simulée autour du panneau le 28 octobre à 12h45.

Tableau 2 : Facteur de Vue du Ciel (SVF en % de vue du ciel) et les irradiances (en W m-2) pour le panneau tournesol et tournesol « intelligent » à 12h45.