France Nature Environnement Hauts-de-France : savoir composer
L’homme est posé, l’œil de celui qui sait laisser planer un sourire malicieux face à certaines questions ; très vite émane de lui une forme d’assurance tranquille, parce que conscient du poids de son action et, finalement, d’un certain pouvoir.
Lorsque l’on traite de projets énergétiques, on ne peut faire l’économie de France Nature Environnement, dont Thierry Dereux est le Président de sa déclinaison dans les Hauts-de-France. Mais on peut aussi se réjouir de sa capacité à maintenir un dialogue constructif dans notre région. Preuve par interview.
Pouvez-vous nous brosser la carte d’identité de la FNE ?
France Nature Environnement est une fédération créée il y a près de 50 ans, qui rassemble 6210 associations locales, soient 900 000 membres, par le biais de 24 associations territoriales au niveau des régions. Elle est reconnue d’utilité publique depuis 1976. Notre équipe comporte au plan national 50 salariés. Le Président de la FNE a été élu en juin 2023 ; il s’agit d’Antoine Gatet, juriste spécialisé dans le droit à l’environnement et enseignant-chercheur à l’Université de Limoges. LA FNE Hauts-de-France est la porte-parole de 16 associations, soient 8700 adhérents, présentes sur tout le territoire régional. J’en suis son président depuis deux mandats et je suis bénévole. L’action de la fédération se structure autour de directoires thématisés comme par exemple les énergies, le climat, les biodéchets, villes et territoires, les risques industriels, Mer et littoral, etc… La fédération est en lien avec les organismes de l’Etat : MTE, DGEC, ADEME, Préfectures et nous avons deux salariés basés à Bruxelles en lien avec l’UE. Nous participons également aux CESE européen et national, ainsi qu’aux CESER régionaux. Nous sommes également présents dans les Comités Régionaux de l’Energie, ce qui nous donne une vision consolidée et globale sur le développement des ENR en France.
Comment résumer les objectifs de votre action ?
Comme l’explique notre site, nous sommes là pour faire entendre auprès des pouvoirs publics, des élus, des médias et de la société civile la voix des associations de protection de la nature et de l’environnement. Nous avons un rôle d’influenceur, nous alertons et proposons des solutions concrètes pour réussir la transition écologique ; nous défendons les intérêts de l’environnement et nous avons également un rôle d’information et de sensibilisation.
Comment construire un discours unique avec autant de membres aux opinions souvent très divergentes ?
Finalement, si ces associations restent membres de l’association, c’est certainement parce que nous arrivons à maintenir une ligne médiane et une crédibilité auprès des pouvoirs publics! Notre rôle est avant tout d’éclaircir le débat. Nous ne sommes pas là pour démollir mais pour réfléchir à des solutions. Nous ne sommes pas là pour le soulèvement, mais pour démontrer les carences d’un dossier au travers de recours auprès des tribunaux ou au travers de notes de position. Nous cherchons à rationnaliser le débat : cela peut se faire parfois en temporisant et parfois en pointant des insuffisances. Bref, nous tenons à rester dans le dialogue qui laisse toujours possible un avenir. Je crois que l’administration attend de nous cette capacité à rationaliser le débat sur l’environnement. Cette position d’équilibre, nous le voyons aussi au travers les conventions de ménénat que nous signons avec la plupart des énergéticiens et grands industriels : ils nous financent, mais nous gardons dans nos contrats une clause stipulant la possibilité de recourir contre eux.
Sur quelles expertises reposent les notes de position et les recours ? Les sujets sont tellement vastes…
Certes, nous avons 9 experts bénévoles sur lesquels nous pouvons nous appuyer. Mais vous avez raison, les sujets deviennent beaucoup trop techniques pour que nous ayions un savoir à nous seuls. En fait, nous construisons cette expertise dans un dialogue avec les industriels et dans la recherche d’avis contradictoires. C’est tout de même souvent le bons sens qui nous guide au point de départ. Prenons l’exemple du méthascope qui propose une grille multi-critères d’évaluation des projets de méthanisation. Cet outil permet une analyse des contreverses autour de projets de méthanisation : dans un débat où s’expriment des contestations, il permet de mieux comprendre les arguments pro et contra, poser les bonnes questions, même si embarassantes et aboutir à un consensus. Mais rassurez-vous ! On n’y arrive pas toujours… Je pense à ce projet de méthanisation sur la métropole lilloise où tous les indicateurs du Méthascope étaient au vert et qui pourtant a été recalé par la mairie…
D’une manière plus générale, c’est le juridique qui nous guide. Je pense en particulier au courrier que nous avions envoyé aux députés français il y a trois ans présentant 10 points qui plaidaient contre les néonicotinoïdes. La plupart de ces points reprenaient des analyses juridiques sur le sujet et des études reconnues sur les conséquences sanitaires pour l’homme.
Quels sont les grands chantiers de la FNE dans les Hauts-de-France ?
Je ne vous cache pas qu’on ne peut pas être partout : il faut choisir ses combats et nous essayons d’éviter les combats qui seraient perdus d’avance. Il y a en Hauts-de-France un accompagnement de la FNE sur bon nombre de concertations : les extensions de lignes de RTE, les implantations des gigafactories,.. mais aussi la question de l’eau et de l’aménagement territorial à Dunkerque, le dernier km des employés des nouvelles usines, la question des pesticides en agriculture, la pollution de l’Escault… La planification maritime est un sujet de vigilance car elle risque de réveiller les anti-éoliens..
Défense de l’Environnement et positionnement idéologie, il n’y a qu’un pas… ?
Globalement, la FNE Hauts-de-France est pro ENR, bien sûr. Nous sommes favorables par exemple à l’éolien en mer. Nous avons validé l’extension du port de Dunkerque, avec certaines réserves toutefois. En ce sens, nous sommes plus médian que certains de nos adhérents.. Nous ne sommes pas pour la décroissance ! Si certains le sont, ils peuvent partir…
Le nucléaire reste un point dur au sein de la FNE. Nous préparons un argumentaire sur ce sujet et préferons mettre l’accent sur l’intensification des ENR pour la décarbonation et de la sobriété énergétique pour réduire les consommations. La FNE participe aux consultations de RTE qui anticipe l’alimentation du réseau par la production nucléaire et d’énergie verte. D’autre part, nous ne validons pas la fusion entre l’ASN et l’IRSN, car il faut toujours garder un niveau de contrôle externe sur le nucléaire.
Au fond alors, l’idéologie n’est jamais très loin… ?
…. [sourire malicieux…]
Idéologie… Je n’aime pas ce mot, car il est clivant et n’ouvre pas au dialogue, ce qui est l’essence même de notre travail. Disons que nous nous en tenons au mix énergétique tel que défini par l’ADEME dans ses scénarii « Coopérations Territoriales et Technologies Vertes ». Et si je suis parfois silencieux, c’est peut-être justement pour appeler à la réflexion.