loader

Ce que révèlent les thermogrammes de la ville sur la performance énergétique

Les villes modernes sont des environnements dynamiques où les bâtiments, la voirie et les espaces verts interagissent en permanence avec le climat et les activités humaines.

Réaliser un diagnostic sur la performance énergétique d’un quartier, voire d’une ville toute entière, n’est pas une mince affaire, mais il est cependant possible de récolter des indices à l’aide d’instruments de mesure. La température de surface des bâtiments, par exemple, est un indicateur clé de l’efficacité énergétique des façades.

Figure 1: La caméra thermique affiche la température de surface qui dépend de 3 types de transferts d’énergie.

 

Qu’est-ce qu’un Thermogramme ?
La température d’une surface d’un objet est influencée par les 3 types de transfert d’énergie thermique: la conduction, la convection et le rayonnement (Figure 1). La température de surface peut être mesurée ponctuellement à l’aide d’un thermomètre de contact, ou évaluée à distance à l’aide d’une caméra thermique infrarouge. L’image donnée par la caméra thermique, appelée thermogramme, permet d’observer en fausses couleurs la distribution de la température à la surface d’un objet ou d’une scène.

Figure 2: Thermogramme panoramique des façades urbaines d’une rue de Bayonne.

 

Mesuré à l’intérieur d’une rue (Figure 2), le thermogramme donne des informations précieuses au physicien urbain. Sous son œil averti, les ponts thermiques, les défauts d’isolation et les vitrages peu performants deviennent rapidement identifiables, à condition de bien comprendre ce qui est mesuré par la caméra.

Figure 3: La caméra thermique mesure un flux radiatif complexe qu’il est nécessaire de corriger pour retrouver la valeur émise par l’objet observé.

 

La caméra thermique mesure-t-elle vraiment la température de surface ?
La caméra mesure un flux radiatif. L’objet que l’on observe est donc placé à une certaine distance de la caméra, et une partie du flux émis par l’objet est absorbée par la couche d’atmosphère placée entre l’objet et la caméra (flux n°1 sur la Figure 3). D’autre part, une partie du flux envoyée par la surface de l’objet peut correspondre à un flux réfléchi provenant d’une autre surface présente dans l’environnement (flux n°2). Cet effet est particulièrement visible lorsque l’on filme un miroir par exemple: la température donnée par le thermogramme correspond à la température des objets reflétés sur le miroir et non à la température de surface du miroir lui-même. Enfin, l’atmosphère elle-même émet son propre flux en fonction de sa température (flux n°3). Pour pouvoir retrouver la véritable valeur du flux émanant directement de l’objet, le flux n°1 donc, il est nécessaire de corriger l’image obtenue par la caméra.

Figure 4 : Le thermogramme mesuré est corrigé selon l’émissivité des matériaux, le rayonnement réfléchi, la température de l’air, la distance des objets et la transmittance atmosphérique. Chaque correction agit comme un filtre sur l’image.

 

Une méthode de correction des thermogrammes
Pour pouvoir retrouver la bonne température des surfaces mesurées par la caméra thermique, une méthode basée sur des traitements successifs de l’image a été développée (Figure 4). Le premier traitement consiste à corriger l’émissivité des surfaces, considérée comme uniforme par la caméra. En effet, les différents matériaux des façades urbaines (béton, acier, verre) n’ont pas la même émissivité, c’est-à-dire qu’ils n’émettent pas de la même manière pour une même température. Il est donc important de pondérer le flux mesuré par la caméra selon la nature des différentes surfaces observées, et selon l’angle de vision, car l’émissivité varie selon la direction d’observation.

Ensuite, un deuxième traitement de l’image permet de supprimer le flux réfléchi (le flux n°2). C’est notamment grâce à ce traitement que l’on peut retrouver la véritable température de surface des fenêtres, qui, sur les images non traitées, reflètent la température du ciel. Enfin, un troisième traitement de l’image corrige le phénomène d’absorption et d’émission de l’atmosphère (flux n°3) en prenant en compte plusieurs facteurs tels que la température de l’air, le taux d’humidité… Les traitements successifs permettent, pixel par pixel, de corriger toute l’image prise par la caméra thermique, et de représenter la température réelle des surfaces observées.

Figure 5: Thermogramme d’une rue de Bayonne avant et après correction.

 

Comment valider la correction des thermogrammes ?
La correction des thermogrammes a été validée lors d’une étude d’une rue de Bayonne en plein hiver sur une période de 24h, en comparant des valeurs ponctuelles sur l’image corrigée à des valeurs mesurées par le thermomètre de contact.
Les résultats montrent que la correction de l’image a considérablement diminué l’écart entre le thermogramme brut et le thermomètre. En outre, une simulation de la même scène par la méthode des éléments finis, la méthode numérique la plus exhaustive pour les calculs thermiques, prenant en compte les effets de la géométrie, des propriétés thermiques de chaque matériau, ainsi que des conditions aux limites, montre une convergence entre la mesure et la simulation ouvrant la perspective de solutions basées sur la simulation (Figure 5).

Figure: Thermogrammes mesurés initiaux, mesurés corrigés et simulés aux éléments finis: les températures de la mesure corrigée correspondent à celles simulées.

Que nous enseignent les thermogrammes corrigés de la ville ?
Les thermogrammes corrigés représentent un outil de confiance très précieux pour les urbanistes et les physiciens urbains. Non seulement ils améliorent la précision des mesures thermiques en milieu urbain, mais ils permettent aussi de mieux comprendre les dynamiques énergétiques qui se produisent à l’intérieur des rues de la ville. En offrant une alternative non intrusive pour l’identification des ponts thermiques et des périodes de chauffe, le thermogramme urbain est une ressource précieuse pour le diagnostic énergétique des quartiers existants. En combinant les mesures avec des simulations avancées, cette approche ouvre la voie à des opérations de réhabilitation et de rénovation énergétique ciblées, plus durables et pertinentes.
Pour la recherche, la connaissance précise des températures de surfaces représente aussi une opportunité originale pour l’étude des propriétés thermiques et optiques des scènes urbaines. Ces nouvelles informations peuvent en effet permettre d’évaluer l’erreur de mesure par télédétection, typiquement les mesures de température des surfaces urbaines par drone, voire par satellite, ce qui représente une ressource essentielle pour la physique environnementale.

Alors que nous clôturons notre série d’articles sur la physique urbaine, il est temps de réfléchir à l’impact de ces nouvelles découvertes sur notre manière de concevoir la ville. Que ce soit pour estimer l’influence des façades sur le confort des piétons, analyser l’effet de la rugosité des surfaces sur la sensation thermique des passants, déterminer la meilleure orientation des panneaux photovoltaïques au milieu des gratte-ciels, ou encore évaluer l’efficacité thermique des enveloppes des bâtiments, la physique urbaine nous offre les outils et les moyens nécessaires pour comprendre les phénomènes et identifier les meilleures solutions.

La physique urbaine n’est pas seulement un nouveau terrain d’exploration pour la recherche, elle représente un changement de perspective dans la manière dont nous concevons et développons nos villes. L’ambition du projet AUBE vise à apporter des solutions innovantes conciliant le confort, l’efficacité énergétique et la durabilité de nos environnements urbains.

Merci de nous avoir suivis dans cette série d’articles. Toute l’équipe du département Géomatique et Génie Urbain vous invite chaleureusement à la journée AUBE qui se tiendra le 20 juin 2024 à Polytech Lille à partir de 9h. Cette journée sera l’occasion de découvrir plus en profondeur les résultats de nos recherches, d’échanger avec les experts du domaine et de partager vos idées et vos perspectives pour l’avenir de la physique urbaine.

Rédaction : Jairo Acuña Paz y Miño, enseignant-chercheur dans le département Géomatique et Génie Urbain de Polytech Lille
Relecture : équipe du département Géomatique et Génie Urbain
Basé sur l’article “Pixel-by-pixel rectification of urban perspective thermography”, cet aperçu vulgarisé offre une perspective concise sur les défis de la conception urbaine face au changement climatique. Il met en avant la nécessité d’innovations dans la conception pour des solutions durables.

Pour plus d'informations