Le capital, principale ressource pour développer les réseaux électriques de demain
E-world energy & water, l’organisateur leader en Europe des salons du secteur de l’énergie organisait ce 16 septembre une conférence en ligne sur les enjeux de nos réseaux électriques en Europe...
E-world energy & water, l’organisateur leader en Europe des salons du secteur de l’énergie organisait ce 16 septembre une conférence en ligne sur les enjeux de nos réseaux électriques en Europe. Autour de la table étaient conviés le directeur d’Ukrenergo, le TSO1 ukrainien, et des représentants de plusieurs entreprises européennes retraçant la chaine de valeur de l’électricité en Europe : l’un des TSO allemands « 50 Hertz Transmission GmbH » (anciennement Vatenfall Europ Transmission), l’énergéticien portugais EDP Group, une société d’investissements danoise, Copenhagen Infrastructure Partners et Bernard Energy Advocacy, cabinet juridique bruxellois spécialisé dans les questions énergétiques. Nous prolongeons l’article en donnant la parole à RTE Hauts-de-France.
Ukrenergo fait preuve de résilience dans l’exploitation des réseaux électriques ukrainiens. à l’origine centralisé pour subvenir aux besoins de l’industrie, elle-même très concentrée, le système a dû s’adapter devant les destructions des unités de production pour devenir en 3 ans un système décentralisé : le maître mot est désormais la production diffuse, à travers le solaire, des petites cogénérations (maximum 50 MW) et bien sûr le stockage par batteries ; des réseaux de distribution ont dû se muter en réseaux de transport et l’architecture des logiciels de pilotage et contrôle (SCADAs) s’est profondément modifiée.
L’intégration européenne devient un sujet clé avec le développement des nouvelles lignes transfrontalières de 400 kV avec la Pologne et la Slovaquie mais aussi la Roumanie et la Hongrie. La réparation des réseaux touchés par le conflit s’industrialise à travers la constitution de brigades d’intervention rapide. Refaire l’enroulement (winding) d’un transformateur ne prend plus qu’un mois, là où il en fallait 6 auparavant ; Ukrenergo a développé un savoir-faire certain dans la protection des sous-stations. Les matériaux proviennent des collaborations avec les TSO des pays voisins, seul l’approvisionnement en équipements de 750 kV pose problème puisque ce voltage est peu utilisé par l’UE. La résilience d’Ukrenergo démontre qu’au pied du mur, les choses deviennent possibles en mettant en œuvre pragmatisme et flexibilité. Ukrenergo pense pouvoir apporter à l’UE son savoir-faire acquis à la fois en termes de résilience lors de la gestion des épisodes de crise mais également en fourniture d’une électricité verte via les interconnexions en construction.
Pour l’UE, les réseaux construits dans le passé sont-ils adaptés à la nouvelle donne qu’impose la décarbonation et l’arrivée de nouveaux consommateurs ?
Selon le plan de développement du grid allemand, 50Hz Transmission GmbH, qui gère le tiers du territoire allemand, devra développer pas moins de 8000 km de lignes dont 3000 offshores, soit 64 Md€ d’ici 2037. Dans l’ensemble de l’UE, il faudra d’ici 2050 investir 100 Md€ par an, soit trois fois plus que par le passé. En Espagne, la plupart des connexions entre les réseaux de transport et de distribution sont saturées. Ces investissements nécessaires(1) s’accompagnent d’une nouvelle définition du risque : les profils des consommateurs sont plus complexes à établir (cf. les data centers) et doivent être suivis de près par des compteurs intelligents, les prévisions de consommation par pays ne suivent pas toujours le rythme attendu et parfois la réalité contredit les prévisions (l’Allemagne voit sa consommation électrique baisser), la régulation manque parfois de capacité d’adaptation à un contexte changeant et devient cause d’instabilité. Enfin l’inflation vient ronger les prévisions d’investissements.
Face au volume des capex et à l’apparition de nouveaux risques, les intervenants souhaitent un changement de la régulation. Puisque la ressource qu’est le capital est partagée par tous les pays membres, il est nécessaire de construire une régulation plus intégrée sur le plan européen, tout en tenant compte des spécificités de chaque pays (le nucléaire pour la France, l’hydraulique pour la Norvège, etc…). Les temps de retour sur investissement aux USA pour les réseaux atteignent les 12% alors que les taux de l’UE ne dépassent pas les 4-6% : Il s’agit donc de mettre en place un système européen de retour sur investissement plus incitatif . Certains craignent là un surenchérissement du prix de l’électricité pour l’usager final sans voir que ne rien faire conduira de façon encore plus certaine à une électricité inabordable par manque d’investissements.
Le régulateur allemand est conscient des ajustements nécessaires au système de régulation et fait des propositions. Il s’agira de généraliser en Allemagne la méthode cost plus sur une base annuelle incluant des prévisions de coûts avec des incitations de réduction et une comparaison permanente entre coûts annoncés et coûts réels. Il s’agira également de calculer le coût du capital selon la méthode du Coût Moyen Pondéré du Capital (WACC en anglais) qui permet un alignement des stratégies d’investissements entre pays. L’ensemble des intervenants plaident pour revenir à un certain courage politique qui prévoit le long terme et non pas les prochaines élections. L’électricité n’est-elle pas une commodité clé pour l’économie d’aujourd’hui mais surtout de demain ?
(1) Selon Contexte du 29 septembre 2025, « la CRE soumet à consultation ses premières conclusions sur le nouveau schéma décennal de développement du réseau électrique (SDDR) : ce dernier, présenté par le gestionnaire RTE en février prévoit environ 100 milliards d’euros d’investissements sur la période 2025-2039, rappelle la Commission de régulation de l’énergie (CRE) »
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Le réseau électrique à haute et très haute tension (63 000 à 400 000 volts) en Hauts-de-France est dense et bien interconnecté avec le reste de la France et des pays européens limitrophes, ce qui fait de la région un territoire stratégique en termes de sécurité énergétique apte à accueillir de nouvelles industries.
Du fait de son industrie développée, la région nécessite une alimentation électrique fiable, robuste et abondante. Les Hauts-de-France sont d’ailleurs la première région consommatrice d’électricité pour l’industrie et la 3e tous secteurs confondus. De plus, le processus de décarbonation des industriels déjà présents renforce la demande locale : les besoins structurels des sites existants en électricité sont d’autant plus importants que cette source d’énergie est décarbonée, et donc nécessaire à leur transition. A cela s’ajoute la dynamique de réindustrialisation du pays, favorisant l’installation de nouvelles activités, elles aussi demandeuses en énergie décarbonée, comme les gigafactories de batteries ou les data centers.
Pour faire face à cette demande croissante, il est nécessaire d’accroître la capacité de production d’électricité décarbonée. De ce point de vue, la production d’électricité dans les Hauts-de-France est déjà conséquente et diversifiée : éolien terrestre (et bientôt) offshore, nucléaire (et bientôt nouveau nucléaire), biogaz, ou encore énergie thermique, pour une contribution à la production nationale de 11%.
Un réseau de transport d’électricité existant robuste qui permet de faire venir des nouveaux clients :
Sur le volet consommation, deux phénomènes s’alimentent mutuellement, et contribuent ainsi au développement de la production et du transport local : l’aménagement du territoire et la hausse des demandes de raccordements industriels. D’un côté, l’aménagement du territoire réalisé en faveur de la production et du transport d’énergie est un facteur d’attractivité majeur. En découlent une hausse des demandes de raccordement (celles-ci ont triplé ces dernières années), impliquant l’installation de projets industriels divers : électromobilité, hydrogène, data centers, etc.
Ces arrivées de potentiels clients renforcent à leur tour l’aménagement du territoire, qui évolue et s’adapte à de nouveaux besoins. En fin de compte, de telles dynamiques induisent le développement et le renforcement du réseau régional à haute et très haute tension.
Dans les années à venir, les équipes régionales de RTE resteront pleinement mobilisées pour raccorder les nouveaux consommateurs d’électricité (gigafactories de batteries, data centers, décarbonation des process) et des nouvelles installations de production d’électricité décarbonée. Elles poursuivront le renforcement du réseau et le renouvellement du réseau existant, tout en le rendant plus résilient aux changements climatiques.
RTE a publié son projet de nouveau Schéma Décennal de Développement de Réseau (SDDR) qui présente les besoins d’évolutions du réseau électrique national sur la période 2025- 2040.
Les grandes orientations stratégiques de notre plan programme SDDR sont soumises à un débat public mené par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) depuis le 4 septembre 2025. Ce débat, ouvert jusqu’au 14 janvier 2026, permet de sensibiliser et d’associer le grand public aux enjeux liés au développement du réseau public de transport d’électricité et aux grandes orientations proposées par RTE à l’horizon 2040.
A l’issue du débat, la Commission Nationale du Débat Public en présentera le compte-rendu et le bilan, et RTE présentera, dans les trois mois qui suivent, les conditions de poursuite du plan-programme SDDR.