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Marché du carbone européen : 20 ans de construction houleuse

L'Europe est-elle en pleine schizophrénie ?

D’un côté, nous faisons face à un enjeu de souveraineté, notamment sur le volet réindustrialisation et protection de nos entreprises ; de l’autre, un tissu réglementaire très – trop – complexe et des propositions de simplifications associées bien compliquées !

Cette dichotomie s’illustre ainsi sur le sujet du CBAM (MACF en français) qui se voit remis en question en pleine guerre commerciale, à un moment où le risque de déferlement de produits non européens – qui ne trouvaient pas jusqu’alors les marchés pour lesquels ils étaient initialement destinés – est réel.

Une remise en question d’autant plus discutable alors même que la publication de l’Inflation Reduction Act (IRA) aurait dû être un catalyseur pour le CBAM, avec ses 400 milliards de dollars de subventions ne favorisant que la production réalisée aux États-Unis.

Il semble dès lors clé de revenir sur quelques fondamentaux

A commencer par la mise en place des ETS. Ce système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (ou EU-ETS) vise avant tout à réduire durablement les émissions de gaz à effet de serre (GES), en les plaçant au centre des efforts de décarbonation et à tracer des trajectoires de croissance économique sur des assises plus durables. Il en existe plusieurs dans le monde.

Source ICAP : 240523_es_frz_final.pdf

L’EU-ETS (SEQE en français), mis en place en 2005, seul ETS supranational à ce jour, est un système de plafonnement et d’échanges d’émissions (cap-and-trade), dans lequel les assujettis doivent mesurer et vérifier leurs émissions pour ensuite restituer aux autorités autant de quotas d’émissions. La quantité de quotas mis annuellement sur le marché est déterminée par rapport à l’objectif de réduction d’émissions.

En 2023, 40 milliards d’euros de quotas gratuits s’échangeaient sur ce marché européen. Progressivement, entre 2026 et 2034, ces quotas gratuits doivent/devaient disparaitre. Afin de ne pas pénaliser les entreprises européennes, notamment l’industrie, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières a été mis en place : le CBAM. Ce mécanisme vise à éviter les fuites de carbone et à protéger le marché ainsi que les entreprises européennes ! On a tendance à l’oublier.

Ci-dessous l’articulation CBAM/ EU-ETS.

Le CBAM, comme plusieurs textes européens, a subi un important backlash, bien qu’il s’agisse d’un texte fondamentalement protectionniste. était-il parfait ? Certainement pas.

Mais le mieux n’est-il pas parfois l’ennemi du bien ? Le traitement médiatique très manichéen de l’OMNIBUS*, en février dernier, ne reflète absolument pas la complexité et la diversité des enjeux auxquels doivent faire face les entreprises européennes. Le CBAM n’est qu’un aspect parmi une multitude d’autres qui constituent les difficultés de l’industrie européenne. Dans un monde où 5 des 6 limites planétaires ont été franchies, le lobbying aurait pu sans doute se concentrer sur d’autres textes.

Cela étant dit, un unique changement de seuil d’importation (50t de marchandises VS 150€ de marchandises) devrait permettre de garder dans le scope 99% des émissions importées, tout en libérant 91 % des entités précédemment impactées par le dispositif (200 000 entreprises EU impactées VS 18 000).

Cette proposition découle du REX du régime de transition du CBAM, entre le 1er octobre 2023 et le 30 septembre 2024.

Mais il y a aussi une simplification proposée dans le calcul des émissions : valeurs par défaut et exclusions de surveillance. Ces dispositions permettront-elles de retomber sur des calculs d’émissions fiables et de garder ce constat ? Beaucoup de changements que les entreprises doivent s’approprier, le tissu économique est plutôt friand de stabilité. Est-ce que retarder des textes permet vraiment une meilleure adoption ou compréhension par le marché ? Comme le disait Benjamin Franklin : “Vous pouvez retarder, mais le temps, lui, ne le fera pas.”

La transition écologique n’est pas un frein mais bien une opportunité de réindustrialisation, d’innovation et de souveraineté économique. La compétitivité européenne ne se fera que par des investissements massifs, comme le soulignait le rapport Draghi. L’Europe doit donc se montrer attractive pour les investisseurs. Dans un monde aux ressources finies, les investissements en faveur de la durabilité font sens.

Il me semble que la communication autour du CBAM et de son inclusion dans l’OMNIBUS devrait être plus tempérée afin que l’essence de ce texte ne soit pas oubliée par la majorité des acteurs européens.

 

 

Claire Delabre-Chagué,
Responsable AFNOR Energies Ingénierie

Pour plus d’informations, n’hésitez pas à contacter AFNOR Énergies, energies@afnor.org ou visiter leur site : Décarboner son activité et raisonner bas-carbone – Groupe AFNOR

À propos d’AFNOR Énergies
AFNOR Énergies est la marque rassemblant les prestations du groupe AFNOR sur les sujets liés à la décarbonation et à la transition énergétique. Elle assemble l’offre de chaque métier du groupe (normalisation, édition, formation, certification, accompagnement) autour d’une expertise-phare : sa fine connaissance des référentiels appliqués aux solutions bas-carbone, au management de l’énergie (dont la norme volontaire ISO 50001) et à l’efficacité énergétique, pour tous les professionnels.

 

* Projet de Directive qui vise à simplifier la publication d’informations en matière de durabilité, de devoir de vigilance et de taxonomie verte