Carnets de voyage : regards énergétiques sur le Japon
La mission XXL des Hauts-de-France au Japon fut un franc succès : bravo à la force que représente Hauts-de-France international !
La mission XXL des Hauts-de-France au Japon fut un franc succès : bravo à la force que représente Hauts-de-France international !
Pôlénergie était présent avec plusieurs de ses membres venus sur son invitation tels que Energo, Terrao ou Groupe-REG ou séparément comme la CUD, EDF, le Grand Port de Dunkerque, la CCIR, l’Université Catholique de Lille, … Quel regard énergétique sur le Japon et quelles opportunités pour notre région à l’issue de cette mission passionnante, à l’aube de l’exposition universelle d’Osaka en 2025 et alors qu’une feuille de route sur la coopération franco-japonaise a été adoptée fin 2023 dans le cadre d’un partenariat d’exception (2023-2027) ?
Le Japon a cet atout de « traduire une technologie en produit », pour reprendre les mots de Bernard Delmas, membre du Board de Nissan Motors. Dans le même temps, le pays est confronté à des défis colossaux à travers une démographie en berne, un exode rural qui se poursuit et bien sûr, une défossilisation indispensable de l’économie qui ne fait que commencer, mais dont le discours ambiant se fait peu le relais. C’est la conjonction de cet atout et de ces défis qui fonde l’intérêt du Japon pour la France et sa FrenchTech, dont nous aurions bien tort de rougir.
LE NEDO, l’équivalent de l’Ademe, est le bras armé de l’Etat japonais pour la décarbonation de l’économie. Son fonds d’innovation consacre 19 Md€ sur 10 ans pour la mise en œuvre de nouvelles technologies, comme par exemple les chaînes de valeur de l’hydrogène et de l’ammoniac, le développement des SAF (Sustainable Aviation Fuels) et carburants maritimes décarbonés, la réduction du fer par l’hydrogène pour la sidérurgie, le développement des ENR électriques de nouvelle génération, la valorisation du CO2 en plastiques, le développement des batteries nouvelle génération, le rôle de l’agriculture dans la réduction et l’absorption du CO2, la décarbonation des procédés industriels thermiques. L’objectif est d’atteindre un niveau de réduction de 46 % des émissions de CO2 en 2030 (par rapport à 2021). Le pari de NEDO est de s’appuyer sur les nouvelles technologies qui permettront de réduire le coût marginal d’abattement du CO2 :
• les batteries devraient atteindre d’ici 2040 une densité de 500 Wh/kg,
• l’hydrogène développera ses usages sur l’ensemble de l’économie : industrie, habitat, transport,
• les fours industriels seront électrifiés pour les puissances inférieures à 2MW ou convertis à l’hydrogène, l’ammoniac ou les bio-carburants pour les fours dont les besoins en températures n’excèdent pas 1600°C,
• le photovoltaïque est appelé à augmenter sa pénétration sur différents marchés : PV flottant, PV muraux, PV sur voitures avec une augmentation de l’efficacité et un coût qui ne devrait pas dépasser les 43 €/MWh.
De son côté, la jeune entreprise PowerX nous rappelle qu’aujourd’hui 70 % du mix énergétique pour produire de l’électricité garde une origine fossile. En 2030, cette part ne sera plus que de 41% puisque les ENR électriques sont appelés à passer de 22 % en 2012 à 38 % en 2030 ; le charbon sera réduit de 31 à 19 %, le gaz de 34 à 22 % et le pétrole sera définitivement arrêté pour la production d’électricité. PowerX assemble des systèmes de stockage d’énergie par batteries (BESS) en containers de 2,7 MWh de capacité et travaille sur un « battery tanker » qui devrait être sur le marché dès 2027 et sur lequel nous reviendrons dans une prochaine newsletter.
Pour le RIETI, l’Institut de Recherche sur l’Economie, le Commerce et l’Industrie, l’enjeu est clairement à la revitalisation des régions : la moitié des municipalités sont en effet en voie d’extinction d’ici 30 ans. Il s’agit donc d’accompagner la baisse de population par une meilleure articulation villes / milieu rural. Chaque collectivité se doit de produire un plan propre de réduction des émissions et les régions pionnières seront certifiées. On voit ici poindre l’intérêt du développement de l’économie circulaire comme moyen de revitaliser le milieu rural.
C’est d’ailleurs ce à quoi conduit notre rencontre chez Eneos, organisée par NFI. Ce groupe de 9 Md€ de chiffre d’affaires intervient dans le raffinage du pétrole (9 raffineries au Japon), la pétrochimie et s’intéresse à l’hydrogène et aux SAF. Pour le groupe, si l’avenir est aux SAF et à l’hydrogène, le coût de l’électricité, encore trop élevé pour le marché, ouvre une phase transitoire vers les procédés de transformation de la biomasse. Eneos voit donc un retour d’expérience à tirer de l’Europe, perçue comme un marché plus mûr sur le développement du biogaz et des gaz de synthèse à partir de biomasse. Une opportunité pour les Hauts-de-France : des propositions sont à faire à ce sujet très prochainement. À nous de faire comprendre qu’un tel développement nécessite la mise en place d’un écosystème complet et ne se limite pas à un apport technologique.
Yokowaga démontre en ce sens la pertinence de son expertise : le groupe réalise pour le port de Rotterdam une étude de faisabilité visant à développer l’intégration sectorielle entre industriels pour augmenter l’efficacité énergétique et décarboner la plaque industrielle du port de Rotterdam. C’est d’ailleurs Yokowaga qui a été retenu par EcosystèmeD pour mener l’étude de stratégie générale dans le cadre de ZIBaC à Dunkerque, avec un fort accent pragmatique sur les enjeux business qui rendent possibles les collaborations entre acteurs.
Un autre exemple du pragmatisme japonais se trouve chez Kawasaki Heavy Industries qui construit la chaîne de valeur de l’hydrogène avec un terminal dédié à Kobé. Ici, tout hydrogène est considéré : d’origine électrolytique via une électricité décarbonée ou d’origine carbonée, via le lignite australien gazéifié en hydrogène et gaz carbonique. Kawasaki a développé une chaîne de transport d’hydrogène liquéfié à – 253°C, soit un volume 800 fois inférieur à celui de l’hydrogène gazeux. L’hydrogène, une fois produit à partir de lignite, est transporté au port d’Hastings où il est liquéfié. Un tanker doté de quatre réservoirs de 40 000 m3 chacun transporte l’hydrogène liquide sur les 900 km séparant Hastings du port de Kobé près d’Osaka, où il est stocké puis regazéifié pour différents usages comprenant l’alimentation de turbines en co-combustion avec du gaz naturel.
En conclusion, le Japon est le pays de tous les possibles pour les entreprises des Hauts-de-France : l’exemple de la licorne EXOTEC en témoigne, mais tout autant l’implantation de la gigafactory d’AESC à Douai qui a su voir l’avantage que présentait notre région parmi toutes celles de l’Union européenne. NEDO, dans son programme d’incubation de startups, propose une visite de ses entreprises lauréates à Paris. N’est-ce pas une proposition miroir qui pourrait être faîte au KEIDANREN, l’équivalent japonais du MEDEF ou à JETRO, l’organisation japonaise du commerce extérieur avec les technologies avancées des Hauts-de-France ? En tout cas, les contacts pris par Energo, Terrao ou EcoXtract démontrent que l’intérêt existe bien. Concernant le biogaz, c’est sans doute de manière groupée et concertée qu’il faudra avancer ! A nous donc de chasser en meute sur ce terrain de la décarbonation où nous sommes clairement attendus !