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Hydrogène pour l’industrie : pour que le rêve devienne réalité !

Guidé par l’impérieuse nécessité de réduire l’empreinte carbone de l’industrie, l’hydrogène vert apparaît de prime abord comme une solution attrayante.

Au fur et à mesure de sa mise en œuvre, tant sur le plan de la production que sur celui des usages, un ensemble de contraintes se fait pourtant jour. Ces contraintes ne sont pas indépassables avec le temps : la confrontation au réel ne fait-elle pas partie du jeu de la mise sur le marché de toute nouvelle technologie ?

Rappelons tout d’abord que l’hydrogène est un vecteur énergétique. Il dépend donc de sources énergétiques qui lui sont extérieures et qui ont leurs propres coûts ainsi que leurs propres rendements de transformation. La densité énergétique de l’hydrogène, c’est-à-dire la quantité d’énergie qu’il peut délivrer, est de 33 kWh par kilogramme, mais sa faible densité volumique rend cette quantité d’énergie beaucoup plus faible lorsqu’elle est rapportée à une unité de volume. La compression est donc une nécessité, que ce soit à 300 ou 700 bar, et elle viendra ponctionner en moyenne 15% de son contenu énergétique. Pour être produit par électrolyse, l’hydrogène nécessite 55KWh d’énergie pour casser la molécule d’eau et produire 1 kg d’hydrogène. Voilà donc le problème de l’hydrogène vert posé : c’est avant tout un problème de rendement énergétique.

Ce qu’il faut mettre en face, c’est la capacité de l’hydrogène à stocker l’électricité renouvelable et donc à convertir une énergie verte intermittente en une énergie stockable et distribuable en flux continu. L’hydrogène vert devient alors un vecteur qui peut contribuer efficacement à décarboner certains types d’industries et certains types de mobilité. Il est également le maillon indispensable à la production de carburants alternatifs pour le transport maritime et par avion ; il se situe enfin au début de la chaîne de process pour la production de molécules décarbonées complexes dans le secteur de la chimie fine. L’hydrogène décarboné vient remplacer l’hydrogène gris pour les usages historiques que sont la production d’ammoniac, de méthanol et le raffinage de pétrole mais il vient ouvrir de nouveaux marchés à travers la décarbonation de certaines industries lourds (sidérurgie, cimenteries, chimie), des transports lourds et de la production de nouvelles molécules jadis issues du pétrole.

Tout l’enjeu du développement de l’hydrogène est de comprendre cette tension entre des usages indispensables pour décarboner certains secteurs de l’économie et sa dépendance envers d’autres énergies qui rend sa production économiquement encore difficilement rentable. Il faut donc tenir à la fois i) une vision long terme où l’hydrogène prendra sa place dans nos économies quand la massification des usages sera effective, mais également aussi pour la simple raison que toute la décarbonation ne peut reposer uniquement sur l’électrification et ii) une vision court terme où certaines niches d’usages alliées à certaines technologies sont possibles. Côté long terme, prenons l’Allemagne et le Benelux : ces pays, de par leurs faibles quantités d’électricité décarbonée, font le pari d’un hydrogène consommé massivement par leurs industries lourdes et développent des infrastructures importantes ; ils misent également massivement sur l’importation que leurs ports leur permettent de développer et concluent des partenariats avec les pays du Proche et Moyen Orient ou les pays nordiques. A mi-chemin entre le long terme et le court terme, en France, la législation européenne nous permet de tabler sur l’électricité de notre réseau, largement bas-carbone, grâce à l’électricité nucléaire, nous y reviendrons plus bas. Le plan France 2030 prévoit 9 Md€ d’ici 2030 pour développer l’hydrogène vert dans l’industrie et la mobilité lourde avec un parc de 6,5 GW d’électrolyseurs d’ici 2030. Aux vues des conséquences de la volatilité des prix de l’électricité en 2021, la tendance est moins à la production locale d’hydrogène, mais plutôt à la production massive, seul moyen de contenir les coûts de production. C’est donc à partir des bassins industriels qu’il faut penser le déploiement de l’hydrogène, là où les besoins en décarbonation sont les plus importants, mais là aussi où la production d’e-carburants peut advenir. A partir de ces bassins, la consommation d’hydrogène pourra se développer de proche en proche au fur et à mesure du développement des infrastructures de transport ou distribution.

Chaque projet est donc à regarder au cas par cas, sachant que certaines solutions peuvent être transitoires. La mutualisation pour atteindre un effet d’échelle sera souvent nécessaire et prévoira une distribution aux usages éloignés par trailers ou par pipelines. D’autres technologies que l’électrolyse peuvent parfois être utilisées et apporter un intérêt en raison de leur moindre dépendance du coût de l’électricité. Elles pourront se développer ponctuellement, dans l’attente de la maturation de technologies à l’échelle industrielle. Il s’agira soit de vaporeformage de méthane et enfouissement du CO2 émis, soit de décarbonation du méthane par plasmalyse, soit de technologies de type biomass to H2, comme la pyrogazéïfication ou la gazéification hydrothermale. Dans le cas de la sidérurgie, les sites industriels prévoient dans un premier temps de décarboner leur process en remplaçant le charbon par du méthane, aujourd’hui peu cher, en captant le CO2 émis, laissant la conversion à l’hydrogène à un stade ultérieur de développement en fonction des prix. 

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Toutes ces technologies sont bien sûr à jauger en fonction du coût de l’électricité et donc des contrats d’approvisionnement mais aussi du prix des quotas carbone. 

Le choix des électrolyseurs est aujourd’hui un point clé pour déterminer le coût de production. Différentes technologies présentent en effet des niveaux de flexibilité variés : i) l’électrolyse à haute température (HTEL)  détient un temps de démarrage à froid supérieur à 60 minutes, limitant considérablement sa flexibilité opérationnelle, ii) l’électrolyse alcaline est conçue principalement pour des applications stationnaires et son fonctionnement à charge partielle peut entraîner une augmentation des impuretés dans l’hydrogène produit, iii) les membranes échangeuses de protons (PEM) se distinguent par leur flexibilité de charge de 0 à 100% et des temps de démarrage rapides (moins de 15 minutes à froid et moins de 10 secondes à chaud), elles sont particulièrement adaptées aux fluctuations des puissances d’entrée, sans entraîner de pertes de performance. Cela reste cependant la technologie la moins développée en termes de TRL. Quelle que soit la technologie utilisée, la R&D sur les électrolyseurs restent un point majeur pour atteindre des échelles de production et des rendements compatibles avec une exploitation industrielle.

Le coût de l’hydrogène dépend enfin du type de contrat de fourniture en électricité. Cette fourniture représente en effet en moyenne 70% du coût de revient de l’hydrogène. Selon la réglementation européenne adoptée début 2024, les électrolyseurs connectés à un réseau dont l’électricité produite émet moins de 18gCO2eq/MJ pourront comptabiliser jusqu’à 100% de leur production comme RFNBO (carburant renouvelable d’origine non biologique, en l’occurrence l’hydrogène renouvelable) à condition qu’ils soient approvisionnés en quantités équivalentes d’énergies renouvelables via des Power Purchase Agreements (PPA). Il sera donc possible de produire en France des RFNBO, en maintenant un facteur de charge élevé, point décisif pour la compétitivité de l’hydrogène produit et pour répondre au besoin de stabilité d’alimentation en hydrogène des utilisateurs industriels.

Jean Gravellier
Directeur Général de Pôlénergie et
Délégué régional de France Hydrogène