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Réglementation Hydrogène : où en sommes-nous ?

Le 18 juin dernier, Pôlénergie organisait en collaboration avec la Mission auprès de l’Union européenne du conseil régional des Hauts-de-France, un webinaire présentant un panorama de la réglementation européenne sur l’hydrogène...

Madame Léa Boudinet, conseillère en charge de la Politique de l’énergie à la Représentation Permanente de la France auprès de l’Union Européenne a présenté ce panorama. L’Union européenne termine un cycle important d’élaboration de textes qui viennent soutenir le développement du marché de l’hydrogène bas-carbone.

Le foisonnement des réglementations reste cependant de lecture difficile. Le but de ce webinaire était de montrer les enjeux, la dynamique qui sous-tend l’organisation des différents textes, pour aider les industriels à mieux comprendre les avancées et donc mieux étayer leurs décisions stratégiques. A l’aube d’une nouvelle législature européenne, Léa Boudinet fait le point sur l’avancée des réglementations négociées ces cinq dernières années : où en sommes-nous et quelles sont les prochaines réglementations à faire adopter ?

La Représentation permanente de la France auprès de l’UE est une task force de négociation qui représente la France auprès du Conseil de l’Europe et du Parlement pour négocier les textes européens. Elle sert de courroie de transmission avec les ministères parisiens ; son rôle est également de rechercher des coalitions avec les Etats membres et infléchir les discussions pour que les lois européennes soient au plus proche des intérêts français. Le point de vue donné ici serait à compléter bien sûr par une vision franco-française donné par le gouvernement français et montrant comment les directives européennes s’incarnent dans l’espace national.

Schéma général
Deux grands axes de travaux de la commission européenne sont à garder en tête lorsque l’on parle de réglementation sur l’hydrogène. Il s’agit d’une part de la question de la décarbonation de l’hydrogène et d’autre part de la création d’un marché intérieur européen de l’hydrogène. Ces deux axes se retrouvent sur l’ensemble des textes réglementaires qui concernent l’ensemble des vecteurs énergétiques.

En appui à ces deux axes, on trouvera des textes visant la mise en œuvre des principes retenus sur ces axes principaux. Ces textes abordent i) les enjeux industriels, ii) les programmes de financement et enfin iii) les partenariats internationaux pour les pays qui comptent sur des partenariats de fourniture d’hydrogène via l’importation et donc la création d’un marché mondial de l’hydrogène.

A côté de ces dispositifs, des textes d’orientation ont une portée plus stratégique ou politique et n’ont pas donc le même niveau d’opérabilité ou de contrainte législative que les textes mentionnés ci-dessus. Il s’agit par exemple de la stratégie Hydrogène adoptée en juillet 2020, qui a préfiguré les textes de loi adoptés depuis, ou le texte Repower EU de mai 2022 en réponse à la guerre en Ukraine et qui prévoit la production sur l’UE de 10 MT et l’import de 10 MT d’hydrogène d’ici 2030. Il importe de noter que ce dernier texte n’a pas de portée législative et d’ailleurs ne correspond pas aux objectifs français, plus orientés vers une production domestique d’hydrogène.

Ces textes sont appelés à être par la suite déclinés au niveau national. En France, la révision de la stratégie Hydrogène est attendue.

Premier axe : la décarbonation de l’hydrogène
Trois textes ont été adoptés au sein du pacte vert européen ou Package « Fit for 55 » qui vise à réduire de 55% les émissions nettes de CO2 de l’UE en 2030 par rapport à 1990. L’objectif de ces textes est de créer une forte demande de consommation d’hydrogène renouvelable et décarboné ainsi que de ses dérivés (e-fuels et carburants). Ces trois textes sont i) la directive énergies renouvelables, publiée en 2024, ii) le règlement fuel EU maritime et iii) le règlement Refuel aviation, adoptés tous deux en 2023.

La directive énergie renouvelable cible spécifiquement le secteur industriel et les transports :chaque Etat a l’obligation d’ici 2030 de mettre en place les mécanismes nécessaires pour que 42% de l’hydrogène consommé par l’industrie soit renouvelable ; ce taux sera porté à 60% en 2035. La France travaille actuellement ses textes pour mettre en œuvre cette obligation pour le territoire français. La référence qui est à prendre en considération pour le calcul de ce 42% est la consommation à l’instant en 2030 et non le niveau de 2019. Côté transport, l’objectif est de réduire de 14,5% les émissions de gaz à effet de serre, via l’utilisation d’énergies renouvelables (électricité décarbonée, biocarburants, hydrogène décarboné). Apparaît alors la notion de RFNBO ou « Renewable fuels of non-biological origin » qui regroupe l’hydrogène décarboné et ses dérivés. Les textes obligent en 2030 à une part minimale de 1% de RFNBO dans la consommation de carburants dans les transports.

Le règlement fuel EU maritime fixe de son côté un objectif progressif de réduction de l’intensité carbone des carburants consommés avec une bonification pour l’utilisation de RFNBO. Les taux passent de 2% en 2025 à 80% en 2050. Pour l’aviation, on parle de part progressive de « Sustainable Aviation Fuel » (SAF) dans les carburants mis à disposition à l’aviation par les fournisseurs : 2% en 2025 jusqu’à 70% en 2050.

Des textes plus techniques, appelés actes délégués, accompagnent ce package pour définir ce qu’est l’hydrogène bas-carbone et l’hydrogène renouvelable, ainsi que leurs dérivés. Ils fixent des critères précis et une méthodologie pour savoir comment calculer le contenu carbone de l’hydrogène et s’assurer ainsi d’une réelle diminution des gaz à effets de serre par l’utilisation de l’hydrogène. Ainsi, l’hydrogène électrolytique sera considéré comme renouvelable s’il remplit trois critères qui démontrent que l’électricité utilisée est renouvelable : i) l’additionalité : l’électricité contractualisée par l’électrolyseur doit avoir été mise en service dans un certain délai par rapport à celle de l’électrolyseur ; ii) et iii) corrélations géographique et temporelle : il doit y avoir une corrélation géographique et une corrélation temporelle entre l’électricité produite par la centrale d’électricité renouvelable et l’électrolyseur ; les textes précisent que l’électricité doit être produite sur la même zone d’enchère et avec une corrélation horaire. L’acte délégué sur l’hydrogène bas carbone est attendu pour l’été 2024 : cela finalisera le cadre réglementaire en introduisant les réglementations sur les autres méthodes de production d’hydrogène.

Précision sur l’hydrogène issu du nucléaire : la France a plaidé depuis deux ans pour introduire une pleine neutralité technologique pour définir l’hydrogène bas-carbone tant qu’il remplit un certain seuil d’émission de gaz à effet de serre. Cette neutralité est inscrite dans les textes pour le maritime et l’aviation (même si pour le maritime, le renouvelable est bonifié). Pour l’industrie, un Etat-membre peut réduire son objectif d’hydrogène renouvelable au profit d’un hydrogène bas-carbone, s’il a atteint un certain niveau de décarbonation de l’ensemble de son hydrogène. Il faudrait donc en France, que l’hydrogène soit décarboné à raison de 80% pour mobiliser ce mécanisme. On peut donc dire que rien en théorie n’empêche d’utiliser de l’hydrogène issu du nucléaire mais selon les cibles, il faut parler de parts de marché dédiés à l’hydrogène renouvelable. La banque hydrogène ne finance que l’hydrogène renouvelable mais la France se bat pour étendre son rayon d’action à l’hydrogène bas carbone.

Deuxième axe : le marché intérieur européen de l’hydrogène
C’est la préoccupation du paquet gaz-hydrogène adopté en 2024, mais pas encore publié au journal officiel, qui comprend un règlement et une directive sur le marché intérieur du gaz et de l’hydrogène. Il s’agira ici de fixer les règles pour garantir un accès libre des entreprises pour injecter aux réseaux l’hydrogène, un accès libre également au stockage de l’hydrogène. Les textes définissent également les règles pour harmoniser la qualité de l’hydrogène injecté afin d’assurer une interopérabilité des réseaux européens. Il s’agissait pour la France de concilier la position de certains Etats membres qui parie de manière forte sur un réseau transeuropéen (l’Espagne vise l’exportation d’hydrogène et l’Allemagne sera un grand centre de consommation) et celle de la France qui mise à court terme sur une stratégie de vallées hydrogène où sont colocalisées production et consommation. Sont ainsi différenciées le traitement de l’accès aux grandes infrastructures transeuropéennes et les zones dîtes « géographiquement confinées », correspondant à des clusters industriels.

L’organisation du marché intérieur de l’hydrogène suppose par ailleurs la définition de corridors prioritaires de développement des infrastructures, ce que prend en charge le règlement TEN E adopté en 2022. Le texte définit des critères de définition des projets d’intérêt commun (PIC) et des projets d’intérêt mutuel (PIM). En novembre 2023, a été adoptée une liste de ces PIC et PIM (voir site de la commission) ; être présent sur cette liste ouvre la possibilité d’obtenir des fonds UE tels que le mécanisme d’interconnexion européen (MIE), appelé à être réabondé dans le cadre de la prochaine programmation pluriannuelle financière : ce fonds finance les études de faisabilité, l’ingénierie, et la construction des projets.

Mise en œuvre de ces deux axes
La mise en œuvre des axes précédents pour décarboner demande une industrie forte et un bon fléchage des financements. Le Net Zero Industry Act adopté en 2024 fait état d’une liste des technologies stratégiques net zéro pour l’UE qui donnent accès aux porteurs de projet des procédures facilitées pour l’accès aux permis et aux financements. Ce règlement oblige l’incorporation des critères hors prix dans les appels d’offre publics : résilience en termes d’approvisionnement, impact environnementale et sociale, empreinte carbone, etc… Ces critères permettront de mieux flécher les financements publics vers, par exemple, les électrolyseurs européens.

Au service de cette mise en œuvre, on peut également citer la mise en place de différents fonds pour financer la R&D ou plus spécifiquement certaines régions comme le Fonds de Transition Juste ou le FEDER. De son côté, le Fond innovation est abondé par la vente des quotas carbone sur le marché ETS et finance les projets de décarbonation de l’industrie. La banque européenne de l’hydrogène soutient en OPEX les projets de production d’hydrogène en Europe : un premier appel d’offre pilote va soutenir 7 projets pour 720 M€ qui recevront sur10 ans un montant par tonne d’hydrogène produit. L’appel d’offre de la banque européenne de l’hydrogène deviendra annuel avec un cahier des charges en cours de rédaction où, là encore, des critères hors prix devraient être intégrés pour mieux soutenir la filière hydrogène en Europe (et éviter les électrolyseurs chinois !).

L’interface entre les mécanismes de soutien européens et nationaux se fait via la Direction Générale de la Concurrence qui, depuis Bruxelles, met en place des soutiens négociés en bilatéral avec les Etats membres. C’est ainsi qu’ArcelorMittal a bénéficié d’un mécanisme de soutien spécifique pour sa décarbonation. Enfin les projets d’intérêt communs européens (PIEEC), lancés en 2020, sont des projets inter-Etats membres sur des projets dont la collaboration ouvre à des aides nationales dont les montants sont plus importants que s’ils étaient gérés indépendamment les uns des autres.

Enjeux pour le prochain mandat de la commission européenne
L’agenda stratégique sera adopté fin juin. Les enjeux qui seront sans doute débattus seront les suivants :
• Mise en œuvre du pacte vert et des cibles adoptées sur le maritime et l’aviation
• Arriverons-nous à créer des business case pour la décarbonation de l’industrie ? Peut on couvrir le gap de prix entre l’hydrogène décarboné et l’hydrogène fossile ?
• Comment vont se développer les importations d’hydrogène ?
• Quel objectif climatique à horizon 2040 ? Quelle place à l’hydrogène pour atteindre cet objectif ?