Congrès ALLICE : Agir aujourd’hui et innover demain
« Décarboner l’industrie : agir aujourd’hui et innover pour demain » : tel fut le thème développé lors du congrès ALLICE (Alliance Industrielle pour la Compétitivité et l’Efficacité Énergétique) qui s’est tenu les 19 et 20 septembre derniers à Paris.
Une thématique que l’on pouvait décliner autour de deux enjeux : d’une part, l’urgence de la mise en place d’actions pour la décarbonation permettant d’atteindre les objectifs fixés à 2030 et, d’autre part, l’importance de l’innovation avec le soutien qu’elle requiert : Fabrice Lemoine, président du PEPR SPLEEN (Programme et Equipements Prioritaires de Recherche « Soutenir l’innovation pour développer de nouveaux procédés industriels largement décarbonés ») l’a bien souligné en déclarant que si « les solutions pour décarboner à horizon 2030 existent déjà, les solutions pour décarboner à horizon 2040 et au-delà seront celles que la recherche permettra de créer ».
Décarboner l’industrie, c’est un impératif sur lequel nous devons concentrer nos efforts et qui nécessitera de profonds changements, nous dit en introduction Isabelle Kocher de Leyrith, fondatrice et présidente de Blunomy, grand témoin de ce congrès. « Aujourd’hui, il y a tout à inventer, nous devons être au rendez-vous, sortir des automatismes et aller au-delà des freins », ajoute-t-elle pour nous inviter à atteindre les objectifs fixés en termes de décarbonation mais surtout à métamorphoser l’industrie pour qu’elle accompagne cette transition énergétique et non qu’elle la subisse.
De nombreux acteurs et industriels de différents secteurs se sont succédés dans les débats et tables rondes et ont témoigné de leurs initiatives sur leurs sites. Nous traitons ici de deux thématiques abordées : la gestion de la chaleur et la circularité.
Gestion de la chaleur
L’énergie thermique, souvent laissée pour compte, représente pourtant 70% de l’énergie utilisée par les industries. L’électrification des procédés tient le haut du pavé dans la transition énergétique, avec son corolaire qui est la réduction des quantités d’énergie thermique consommées dans l’industrie. La chaleur reste pourtant indispensable à l’industrie ; elle doit donc être utilisée rationnellement, non seulement pour une question économique, mais aussi parce qu’elle provient d’un processus de combustion qui génère des émissions de C02. Mieux utiliser la chaleur, c’est donc aussi réduire son empreinte carbone. Elise Vouriot, ingénieur de recherche chez Arcelor Mittal, a présenté les démarches du groupe pour valoriser la chaleur fatale : sur son site de Dunkerque, ArcelorMittal alimente le réseau urbain de chaleur avec un volume de 26 GWh/an de chaleur fatale; c’est le plus grand réseau de chaleur français avec récupération de la chaleur fatale.
Selon l’échelle de température nécessaire au procédé, les technologies et les possibilités changent du tout au tout. Hélène Szmytka-Jehan, experte en énergie chez Lactalis, producteur de produits laitiers, explique comment le site de Verdun utilise du solaire thermique pour le préchauffage de la tour de séchage dans le procédé de fabrication du lactosérum. Cette énergie thermique est issue du plus grand champ solaire actuellement en France qui fournit 8 TWh d’énergie thermique par an avec un pic de puissance à 12 MWth. Ce projet a été réalisé en collaboration avec Newheat, (membre de Pôlénergie), fournisseur d’énergie thermique renouvelable, qui s’est occupé des démarches administratives et a pris en charge le financement du terrain et de la centrale solaire thermique. Le site de Lactalis achète directement la chaleur à Newheat sur un prix convenu à l’avance, sans en supporter la charge financière.
À travers ces deux exemples, il est évident que la gestion de la chaleur dans un process industriel nécessite une réflexion approfondie. Cette réflexion doit s’étendre à la fois en amont et en aval du processus. et qui doit examiner, pour une utilisation plus efficace. De plus, elle doit envisager, dans le but d’une utilisation plus efficace, la possibilité de recourir à des procédés alternatifs qui demandent moins, voire aucune, énergie thermique, d’obtenir cette énergie à partir d’une source moins carbonée et de la réutiliser si possible à la sortie du process pour d’autres utilisations.
Questionner les alternatives d’un procédé fut la démarche des Ciments Hoffman. L’entreprise fabrique du ciment bas carbone : celui-ci ne contient pas de « clinker », l’élément majoritairement responsable des émissions carbones dans le procédé de fabrication. François Simon, prescripteur en Île-de-France, a présenté une innovation supplémentaire majeure qui vient s’additionner à l’absence de clinker. Cette innovation consiste à éliminer les émissions dues à la cuisson, par le biais d’une activation du ciment à froid, et donc sans émission de CO2. Là où beaucoup d’industriels du secteur ont misé sur la capture du CO2 en sortie du procédé, l’entreprise a choisi d’attaquer le problème différemment en questionnement en profondeur son procédé. Cela illustre parfaitement le message d’Isabelle Kocher de Leyrith : l’entreprise a su aller au-delà de ses automatismes en réinventant son procédé de fabrication.
Circularité
Alors que nous évoquons fréquemment le concept d’économie circulaire, qu’entend-on par circularité ? Cette notion de circularité va devenir indispensable au bon fonctionnement de notre industrie. Bien que nous ne connaissions actuellement pas de pénurie d’éléments nécessaires au fonctionnement de notre industrie, il existe des secteurs où le marché se tend, sans pour autant paralyser la fabrication.
Pour reprendre les propos d’Emmanuel Rauzier, énergéticien et expert industrie de Negawatt, parlant des batteries électriques : « Si nous tablons sur un scénario d’une électrification totale de notre mobilité, nous n’aurons pas la réserve suffisante de matériaux pour suivre la demande de véhicule ». C’est le cas du lithium raffiné, où selon un rapport européen, l’offre du marché ne pourra plus suivre la demande mondiale croissante dès 2030, même en tenant compte des produits recyclés.De nombreuses prévisions sont basées sur l’idée que les ressources sont utilisées pour un usage unique, sans tenir compte du fait que d’autres processus de production prévoient également d’utiliser les mêmes ressources.
La startup Mecaware développe un procédé efficient pour extraire des métaux stratégiques et des terres rares avec un haut niveau de rendement et de pureté, en utilisant uniquement le CO2 des industries voisines et un procédé aux amines. Mecaware ne rejette aucun effluent et consomme peu d’énergie.
La réflexion sur la gestion des ressources limitées conduit parfois à la réorganisation spatiale des activités en regroupements complémentaires, comme l’illustre si bien Pierre Robert directeur du futur Centre des Matériaux Durables chez Michelin, qui verra le jour à Clermont-Ferrand sur le Parc Cataroux. L’objectif est de réunir divers acteurs afin de créer un véritable écosystème sur une plateforme divisée en plusieurs pôles : le Centre des Matériaux Durables, le PIC (Pôle d’innovation collaborative) dédié à l’innovation, la Manufacture des Talents pour élargir les formations des employés de Michelin aux autres entreprises de la région et le Quartier des Pistes où l’on retrouvera le pôle culturel, sportif et de santé.
Cet ambitieux écosystème contribuera à renforcer la circularité sur le territoire. Michelin souhaite se rapprocher de son objectif pour obtenir un taux de 100% de matériaux durables d’ici 2050, tout en agissant directement sur son scope 3. Cette notion d’écosystème a été mise en avant lors de la présentation de l’appel à projets ZiBaC (Zone industrielle Bas Carbone) par Simon Deltombe, chargé de projet décarbonation pour l’industrie à l’ADEME. Cet appel à projet vise à encourager les collaborations entre industriels dans les zones industrielles à forte intensité ; Dunkerque en est un excellent exemple puisque la plaque industrielle fait partie des quatre lauréats ZiBaC à ce jour sur le territoire national.
À retenir de ce congrès : nous possédons les clés pour atteindre les objectifs de décarbonation de l’industrie d’ici l’échéance 2030. Il reste à poursuivre les efforts en matière d’innovation pour développer les éléments qui nous permettront d’atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050.
(1) Source : FONDS pour une TRANSITION JUSTE (FTJ) – Europe en Région Hauts-de-France