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Energies et Europe : mode d’emploi

C’est une véritable chance que notre région ait à Bruxelles parmi ces représentants un député européen passionné par le développement économique des Hauts-de-France...

C’est une véritable chance que notre région ait à Bruxelles parmi ces représentants un député européen passionné par le développement économique des Hauts-de-France, au fait de tous les enjeux du territoire, ce depuis 1989 lorsqu’il devînt adjoint de Jean-Louis Borloo, maire de Valenciennes puis, quelques années plus tard, vice-Président de l’agglomération de Valenciennes Métropole. Elu député européen en 2009, Dominique Riquet gère à Bruxelles de nombreux dossiers : financement des infrastructures de transport, interconnexions électriques en Europe, financement du Canal Seine-Nord Europe, stratégie ferroviaire, … Nous le retrouvons à déjeuner au parlement européen ce 21 mars 2023, lors de la mission organisée par Frédéric Motte, Président de la mission Rev3, pour parler hydrogène et stratégie européenne de l’énergie. L’homme connaît ses dossiers et sait naviguer de manière alerte dans les méandres bruxellois pour tirer de la machine européenne toute sa logique interne. Leçon de choses…

A quel momentum se situe la Commission vis-à-vis des questions énergétiques ?

La décarbonation de l’économie passe pour l’Europe par l’électricité renouvelable. Le conflit ukrainien avec l’arrêt du gaz russe nécessite une accélération de l’électrification de l’économie qui vient raviver de manière aigue les différences de position entre les pays européens. Les autrichiens, par exemple, ont une électricité renouvelable et pilotable, puisque basée sur l’hydroélectricité ; Les français, eux, souhaitent compter sur leur nucléaire; les Allemands ont une électricité renouvelable intermittente, donc non pilotable et ils se refusent plus que jamais à basculer vers le nucléaire. La seule manière de gérer l’intermittence de l’électricité renouvelable est de stocker pour pouvoir piloter : l’hydrogène devient alors la brique nécessaire au schéma de décarbonation basée sur l’électricité renouvelable, la batterie étant considérée comme un moyen marginal de stockage à grande échelle. Nous avons avec nos amis allemands un différentiel de compétitivité : la France table sur 60-65 % de son électricité d’origine nucléaire avec laquelle elle peut produire de l’hydrogène bas carbone à bas prix. Pour les allemands, cet hydrogène ne peut être considéré comme renouvelable : il n’est pour eux d’hydrogène bas carbone que zéro carbone ! Autour de cet axe France-Allemagne, se cristallisent les positions des autres pays : nous étions les horribles français, pronucléaires il y a quelques temps mais le vent tourne : les suédois nous soutiennent, les finlandais pas loin, les hollandais également, ainsi que l’ensemble des pays de l’est qui ont de nombreuses centrales. Avec l’Allemagne, il y a le Luxembourg champion anti-nucléaire, l’Espagne, on la comprend avec son potentiel photovoltaïque, quant à l’Italie, de tradition gazière, elle commence à se poser des questions… In fine, l’hydrogène bas carbone est en passe de l’emporter, même si on se refuse encore de parler de lien direct entre hydrogène et nucléaire…

Certes, il y a une crise du nucléaire en ce moment partout dans le monde et nous sommes dans une phase de transition, mais les choses vont peu à peu se stabiliser. Ce qui sera respecté, c’est le mix énergétique des Etats : l’Europe ne peut obliger un Etat à faire des choix qui ne sont pas les siens ; la France ira certainement vers un mix 2/3 nucléaire, 1/3 ENR en faisant grossir la part du renouvelable ce qui n’est pas sans poser d’autres problèmes d’ailleurs…

Quel est l’intérêt de ce débat sur le nucléaire dans la mesure où en France, nous ne couvrons déjà pas nos propres besoins ?

En effet, si l’on développe les énergies renouvelables intermittentes dans l’avenir c’est bien elles qu’il faut adresser vers la production d’hydrogène et garder le nucléaire pour couvrir les besoins en électricité domestique et industrielle. Sauf que cette année, pour la première fois, notre pays a été déficitaire en production électrique et nous avons dû importer de l’électricité de nos voisins européens. Nous devons d’abord satisfaire les besoins primaires en électricité qui vont augmenter jusqu’à 200 TWh (hors besoins pour l’hydrogène) du fait de l’électrification de l’économie. Mais il ne faut pas raisonner franco-français: les interconnexions entre les pays européens permettent d’assurer la continuité du marché de gros au jour le jour, fondée sur la dernière centrale appelée, forcément au gaz (et là nos voisins sont un peu moins regardant sur l’origine de l’électricité quand ils ont besoin d’importation!). De plus, les PPA (Power Purchase Agreement = contrats de long terme avec prix stables et garantis) et les CfD (contract for difference = contrat de complément de rémunération) donnent la possibilité de faire des échanges en atténuant les fluctuations du marché.

L’Europe, ne serait-ce que pour ces besoins industriels d’aujourd’hui (9 MT/an), mais encore plus pour les besoins liés à la décarbonation de l’industrie, n’est absolument pas autosuffisante en hydrogène : il est aujourd’hui produit par vaporeformage de produits pétroliers importés et est fort émetteur de CO2. Pour obtenir l’hydrogène dont nous aurons besoin demain pour stocker l’électricité verte et décarboner l’industrie, il faut soit importer (voir les projets pharaoniques au Maroc ou en Afrique du sud), soit développer nos capacités de production en électricité décarbonée.

Le nucléaire délocalisé est-il envisagé par la Commission ?

La plus-value des SMR (Small Modular Reactor) est d’abord environnementale car le risque d’accident est plus modéré et plus facilement contrôlable. C’est ensuite le fait de s’affranchir des transports et des pertes d’électricité qui lui sont liées. C’est enfin la question de l’emploi : il n’est pas toujours facile de trouver sur un même site une grande masse de travailleurs. Les SMR sont très en vogue aux Etats-Unis. Il reste à raisonner économiquement ce qui est le plus rentable entre une grappe de plusieurs SMR habilement répartis sur un territoire et un EPR (Evolutionary Power Reactor). La vraie question reste tout de même de partir de nos besoins! Je vois trop souvent de décisions émotionnelles : je veux une centrale ici, je veux une centrale là,.. La première chose à faire est de définir de manière prospective et ambitieuse nos besoins: de combien de MW pour couvrir nos projets ? Comment répartir cette production territorialement et par quel mix énergétique ?

Entre gaz naturel, biogaz et électricité, quelle vision de la Commission sur le chauffage domestique?

Les chaudières à gaz, à condensation ou pas, vont être interdites dans un délai très court ; il pourra y avoir cependant des discussions sur le biogaz. La part du biogaz dans le chauffage est considérée comme relativement secondaire par rapport à celle qu’elle est appelée à prendre de manière directe dans l’industrie. Cela ne signifie pas que la filière biogaz soit dénigrée ; elle reste très intéressante mais ses volumes font qu’elle doit être dédiée à des usages plus prioritaires comme l’industrie et l’agriculture : injecter du biogaz dans les réseaux pour se chauffer reste du gâchis. C’est ici qu’il faut bien comprendre comment l’Europe fonctionne : les signaux politiques que vous envoyez valent le temps des choix politiques que vous faites !… Il y a un très bel avenir pour le biogaz dans le transport lourd et là, il n’y a pas trop d’alternatives. Mais la Commission envoie un message très clair à la population : pour le chauffage, ce ne sera plus le gaz ! C’est vrai qu’au niveau européen il y a parfois des décisions politiques excessives mais il faut les comprendre comme un signal. Cette notion de signal est tellement forte à la Commission que parfois, elle va même jusqu’à enfreindre ses propres principes : je pense notamment à la neutralité technologique, c’est-à-dire le fait de ne pas imposer des choix techniques a priori. Eh bien, par exemple, l’Europe est allée jusqu’à ne pas respecter ce principe pour imposer le tout électrique au niveau de la voiture particulière. C’est un peu la même chose pour le gaz dans le chauffage domestique.

Dans les Hauts-de-France, quels sont à votre avis les enjeux ?

Les aléas climatiques et les risques de catastrophes naturelles sont désormais à prendre en compte sérieusement dans le financement des projets d’infrastructures énergétiques. De plus en plus les financements européens seront conditionnés à une réelle prise en compte d’une forme de résilience aux événements climatiques et exceptionnels : si ce n’est pas prévu, l’Europe ne financera pas. Je pense du coup à nos zones côtières et à l’hinterland qui en dépend de Dunkerque à St Omer par exemple. Mais je vous le redis : avant tout définissez vos besoins ! Comprenez-bien que sans électricité décarbonée, l’économie de notre région est sans avenir. Il faut donc faire le décompte et définir quelles sources d’électricité décarbonées nous sont nécessaires : éolien offshore, photovoltaïque, EPR, SMR, quoi d’autres ?… Nos deux EPR à Gravelines seront-ils suffisants pour couvrir la décarbonation de notre économie régionale dotée d’une forte densité de population et basée sur l’industrie lourde, la logistique et le transport ? A nous d’être proactifs! Souvenons-nous les décisions autour du Canal Seine Nord Europe : personne n’a défendu nos propres intérêts régionaux sinon nous-mêmes. C’est à la région Hauts-de-France de faire son propre plan de développement des énergies ; c’est une question de vie ou de mort pour notre développement économique.